Il était assis sur son vieux fauteuil de bois, usé par les ans, face à la cheminée où brûlait une maigre flamme. Son visage buriné, marqué par des rides profondes comme des sillons dans une terre aride, racontait à lui seul l’histoire de ses soixante années. Il caressa distraitement la tête de son chien, un bâtard au pelage roux, couché à ses pieds. Les yeux de l’animal, humides et vifs, semblaient absorber chaque mot que son maître murmurait, comme s’il comprenait l’histoire qu’il racontait.
Elle est partie un matin d’hiver, dit-il, sa voix brisée par une douleur ancienne. Je me souviens… il pleuvait, une pluie fine et glacée qui s’infiltrait partout, même dans les os. Elle m’a regardé une dernière fois avant de fermer les yeux. Tout est devenu silence, un vide immense.
Il se tut un instant, son regard perdu dans les flammes qui dansaient dans l’âtre, comme si elles ravivaient des souvenirs qu’il cherchait à fuir. Puis il reprit, d’une voix plus basse, presque un murmure :
Après ça, la maison est devenue un tombeau. Chaque pièce me rappelait elle, chaque objet portait son empreinte. Je n’avais plus personne pour qui parler, plus personne pour qui me lever le matin.
Il baissa les yeux vers le chien, qui releva doucement la tête, comme s’il devinait que ce moment était pour lui.
Et puis il y avait toi, murmura-t-il, un sourire triste sur les lèvres. Tu étais là, toujours là. Le jour de l’enterrement, tu t’es couché près de la porte, comme si tu l’attendais encore. Tu ne mangeais presque rien, tu pleurais la nuit. Oui, un chien pleure, moi je l’ai vu.
Sa main rugueuse passa sur le dos de l’animal, dans un geste lent, chargé de tendresse.
Je ne sais pas comment j’aurais tenu sans toi. Tu m’as suivi partout, comme une ombre. Quand je sortais dans le jardin pour travailler, tu étais là, assis à mes pieds. Quand je me perdais dans mes pensées, dans cette maison vide, tu venais poser ta tête sur mes genoux, comme pour me dire que je n’étais pas seul.
Il se redressa légèrement, fixant l’animal avec une intensité rare.
Les gens disent que les chiens ne comprennent rien, qu’ils ne sont que des bêtes. Mais toi, tu as compris ma peine mieux que n’importe quel homme. Tu n’as jamais parlé, mais tu étais là, fidèle, comme si tu portais avec moi ce fardeau que je croyais insupportable.
Le chien remua doucement la queue, un mouvement discret, mais plein de signification, comme s’il voulait dire qu’il serait là aussi longtemps que son maître aurait besoin de lui.
L’homme sourit, un sourire fragile, et son regard s’adoucit.
La fidélité d’un chien… ça vaut bien plus que tout ce que le monde peut offrir. Toi, tu n’attends rien, sinon un peu d’amour. Et moi, je te le donnerai jusqu’à mon dernier souffle.
Il se tut, et dans le silence de la pièce, on entendait seulement le crépitement du feu et le souffle régulier du chien, fidèle gardien d’un homme seul, mais jamais vraiment abandonné.