Maryane et Paul sont bergers depuis 4 ans dans la vallĂ©e du Valgaudemar, au cĆur du parc national des Ăcrins. Loin des clichĂ©s dâun monde de lâĂ©levage violemment et uniformĂ©ment hostile au loup, ils racontent leur coexistence avec le prĂ©dateur.
Le loup fait son retour dans le massif des Ăcrins lors dâun premier passage dĂ©tectĂ© en 1992. Durant les 20 annĂ©es suivantes, les loups y passent de maniĂšre sporadique, mais sans sây installer. Ce nâest quâĂ partir de 2011 que les premiĂšres reproductions sont dĂ©tectĂ©es. Ă partir de 2017, le nombre de loups augmente considĂ©rablement, ces derniers occupant presque tous les territoires favorables.
Ainsi, 16 meutes sont comptabilisées en 2021, quand Maryane et Paul arrivent pour leur premiÚre estive : « Il y a une meute installée dans la vallée du Valgau depuis plusieurs années », explique Paul. Malgré la forte présence lupine dans les vallées, « la pression de prédation est faible » sur les alpages situés au fond du Valgaudemar.
Si le parc national des Ăcrins est un espace naturel protĂ©gĂ©, câest aussi un territoire dâĂ©levage pastoral. Chaque Ă©tĂ©, les brebis sont emmenĂ©es par milliers en alpages. Avec la prĂ©sence des loups, ce mode dâĂ©levage pastoral est dĂ©sormais impossible Ă pratiquer sans lâappui de bergers et la mise en place de moyens de protection.
« Depuis 5 ou 6 ans, tout le monde sâest mis Ă prendre des mesures de protection parce que les loups ont tapĂ© vraiment fort », explique Paul. La croissance de la population de loups a ainsi entraĂźnĂ© celle des bergers. Maryane et Paul ont ainsi Ă©tĂ© embauchĂ©s par 4 Ă©leveurs qui groupent leurs bĂȘtes pour envoyer prĂšs dâun millier de brebis en estive.
Cette embauche sâest accompagnĂ©e de la mise en place de deux chiens de protection qui ont pour fonction de dissuader tout intrus de sâapprocher du troupeau, notamment les loups. Contrairement aux trois chiens de conduite de Paul et Maryane, les chiens de protection restent constamment avec le troupeau. Le dressage et lâentretien de ces chiens reprĂ©sentent une contrainte importante pour les Ă©leveurs et les bergers. Ils doivent Ă©galement gĂ©rer la coexistence des chiens de protection avec les randonneurs, « la plus grosse contrainte » selon Paul qui est nĂ©anmoins convaincu de leur efficacitĂ© pour limiter le nombre dâattaques.
Enfin, ces moyens de protection sont complĂ©tĂ©s par la pose de parcs de nuit. Ces filets Ă©lectrifiĂ©s forment une barriĂšre contre le loup, mais servent aussi Ă contenir le troupeau prĂšs des chiens de protection. Ensemble, ces trois moyens de protection â utilisation de chiens de protection, regroupement en parcs de nuit Ă©lectrifiĂ©s et prĂ©sence humaine permanente â permettent de limiter le nombre dâattaques mais surtout de diminuer le nombre de brebis tuĂ©s lors dâune prĂ©dation. La mise en place de ces moyens de protection est financĂ©e Ă 100 % par lâĂtat quand lâestive est situĂ©e dans un espace protĂ©gĂ© comme le cĆur du parc des Ăcrins. Si les moyens de protection sont globalement efficaces pour limiter les prĂ©dations, ils reprĂ©sentent une forte contrainte pour les Ă©leveurs et les bergers. « Cette montagne nâest franchement pas Ă©vidente pour parquer tous les soirs, tĂ©moigne Paul. Tu passes parfois un mois avec une heure de marche et 500 mĂštres de dĂ©nivelĂ© pour rejoindre le troupeau ». MalgrĂ© la mise en place des moyens de protection, le risque de prĂ©dation subsiste. Paul et Maryane sâestiment cependant chanceux, car ils nâont eu quâune prĂ©dation en quatre saisons de garde. Une brebis a Ă©tĂ© mangĂ©e aprĂšs avoir donnĂ© naissance Ă un agneau en-dehors du parc de nuit. Si la prĂ©sence du loup ajoute une contrainte indĂ©niable sur les acteurs de lâagro-pastoralisme, Maryane et Paul tĂ©moignent dâune certaine acceptation de la prĂ©dation chez certains Ă©leveurs et bergers. « Si on laisse une brebis derriĂšre et quâelle se fait bouffer : câest le jeu ! » affirme Maryane. « Je trouve que câest un tribut acceptable, poursuit Paul. Une brebis sur un troupeau de 1000, ça passe ! GĂ©nĂ©ralement les Ă©leveurs savent assez bien lâaccepter dans les Alpes : ils commencent Ă avoir lâhabitude et Ă le considĂ©rer comme une perte normale dâune saison dâestive. Le problĂšme, câest quand les loups commencent Ă en prĂ©lever une dizaine. LĂ , cela commence Ă ĂȘtre embĂȘtant. » « En 2019, câĂ©tait chaud dans la vallĂ©e sur ce sujet, raconte Paul. Un vieil employĂ© du parc mâa dit que depuis quâon est lĂ , cela sâest grandement amĂ©liorĂ©. On est quelques bergers Ă ĂȘtre aussi naturalistes. On fait le lien entre les Ă©leveurs qui sont contents du boulot et les gens du parc qui passent nous voir, nous aident Ă poser les cabanes, nous rencardent sur ce quâil se passe autour du loup dans la vallĂ©e. Je pense que cela adoucit les tensions. » Paul et Maryane voient Ă©galement dâautres intĂ©rĂȘts Ă la prĂ©sence permanente de bergers : la meilleure conduite du troupeau prĂ©serve la biodiversitĂ© des alpages ainsi que lâĂ©tat de santĂ© des brebis. |
