Les chimpanzés se soignent entre eux grâce aux plantes de la forêt

Ils mâchent des feuilles, appliquent des cataplasmes, et s’entraident pour guérir : comment les chimpanzés d’Ouganda transforment la forêt en véritable pharmacie.

Et si nos cousins les chimpanzés en savaient plus que nous sur les vertus médicinales des plantes ? En Ouganda, des scientifiques ont passé plus de 30 ans à documenter un fait fascinant : les chimpanzés de la forêt de Budongo utilisent leur environnement pour se soigner, parfois même pour soigner les autres. À travers feuilles mâchées, écorces, résines ou simples gestes d’hygiène, ces animaux démontrent une connaissance fine de leur écosystème.
« C’est assez impressionnant de voir qu’ils ont une connaissance des propriétés de certaines plantes qu’ils mangent et qu’ils arrivent à comprendre quand un autre individu a besoin d’aide », explique Harmonie Klein, primatologue à l’université de St Andrews, en Écosse, pour La Relève et La Peste.
Les chimpanzés étudiés dans la forêt de Budongo ont été observés en train de mâcher des feuilles puis de les appliquer sur des blessures ouvertes, de presser leurs doigts humides de salive sur des plaies, ou encore utiliser des plantes spécifiques en cas de diarrhée, d’infections ou de douleurs. Ces comportements relèvent de la zoopharmacognosie, autrement dit l’usage de substances naturelles par les animaux pour prévenir ou soigner des maladies.

Sur 13 plantes identifiées dans les comportements de soin 88 % ont montré une action antibactérienne en laboratoire, et un tiers d’entre elles avaient aussi un effet anti-inflammatoire, selon une étude publiée en juin 2024 dans PLOS ONE. Ces plantes ne sont pas choisies au hasard : elles sont parfois consommées uniquement en cas de blessure ou d’inconfort, ce qui renforce l’hypothèse d’un usage thérapeutique ciblé.
Les chimpanzés utilisent diverses techniques : certaines feuilles sont mâchées pour en extraire le jus et crachées sur la plaie, d’autres sont avalées pour agir de l’intérieur. Il leur arrive aussi de consommer de l’écorce, du bois mort, ou de s’essuyer à l’aide de feuilles rugueuses pour évacuer des parasites intestinaux.
« Il y a beaucoup de transmission chez les chimpanzés. Les enfants observent ce que les mères mangent. Par exemple, quand une mère mange de la viande, un jeune va venir essayer, et elle va le repousser parce qu’il est trop jeune pour ingérer cela », explique Harmonie Klein.
Le plus surprenant, c’est que certaines des plantes utilisées par les chimpanzés sont aussi présentes dans les pharmacopées traditionnelles humaines. L’Alstonia boonei, par exemple, utilisée par les chimpanzés atteints de diarrhée, est connue pour ses vertus intestinales dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est. En analysant les extraits de ces plantes, les scientifiques ont pu confirmer leur efficacité thérapeutique potentielle. Ces découvertes pourraient ouvrir la voie à de nouvelles molécules médicinales, utiles pour la recherche pharmaceutique humaine.

Cette “pharmacie naturelle” repose sur un équilibre fragile. La forêt de Budongo est aujourd’hui confrontée à la déforestation et au braconnage. Et avec elle, c’est tout un répertoire de connaissances animales – et de potentiels remèdes – qui risque de disparaître.